Aujourd’hui c’est la virée du caddie.
C’est avec lui que j’irai visiter le centre ville qui a été.
Dans la rue principale, les rideaux baissés, nous rappellerons que le monde a changé.
Nous ne serons pas seuls, le spectre de l’épicière, le fantôme du charcutier, et l’artisan en hologramme.
Nous marcherons ensemble, vers le son lointain des tintements de verres, jusqu’à la terrasse déserte du bistrot central.
Derrière ses vitres de poussière, le blanc limé fera semblant de couler, au crépuscule, tout ce beau monde retournera dans un sommeil de plomb.
Mais moi, avec mon beau caddie, j’irai vers la lumière, je ferai un grand voyage sidéral, jusqu’à la sortie du village.
Je zigzaguerai autour des ronds points sans âmes, à la rencontre d’un nouveau monde, je slalomerai entre les arbres sans ombre, sur d’immenses parkings monochromes.
Je longerai des kilomètres de bardage bariolés, et m’enivrerai de couleurs criardes.
Les enseignes publicitaires éblouiront de mille feux mes rêves de grandeur.
Je comblerai le vide, en remplissant mon beau chariot : d’un écran super plat de 80 pouces, d’un robot mixeur supersonique, d’une paire de baskets à 3 bandes super-tendances, d’un téléphone superpuissant pour appeler maman.
À la mi-journée, je dépenserai mon dernier billet, je gorgerai ma panse d’un triple cheese dégoulinant, et d’un pack de bières bon marché à 8 degrés.
Enfin, l’Amérique sera à portée de mains.
Le ventre plein et les yeux gavés, je me croirai heureux.
Repu, j’éructerai ma joie superficielle, j’en oublierai ces immenses porte-containers, qui vont et qui viennent par delà les océans, nous apporter ici ces rêves de plastique fabriqués par des enfants.
Las d’avoir cramé tant d’illusions à la périphérie de la ville, je balancerai mon caddie dans le fossé.
Hélas, ce sera, notre dernière virée.
La prochaine fois, je me ferai livrer.